Le nombre d’enseignants-chercheurs noirs de haut niveau au Royaume-Uni (Source: Adams, 2020). Le manque de diversité et la dynamique sociale défavorable affectent les universités autant que n’importe quelle autre institution. Jonathan Wilson, professeur de stratégie et de culture de marques à la Regent’s University de Londres, signale le biais implicite dans le domaine des sciences et l’appelle le syndrome de “la pinte de Guiness”. Avec humour, ce multiple récipiendaire du prix LinkedIn Top Voices nous livre sa vision de l’inclusion, des défis qu’elle suppose et… de la vie. 

Jonathan, d’abord une petite introduction s’il vous plaît. Vous êtes certes professeur à la Regent’s University de Londres mais on vous a aussi vu jouer de la basse sur scène au festival de musique de Glastonbury, vous apparaissez déguisé comme le samouraï dans Ghost Dog, vous aimez porter le kilt et vous avez reçu le prix LinkedIn Top Voices 4 fois. En bref, vous êtes une convergence de cultures et une voix d’influence. Pouvez-vous nous en dire plus sur vous et ce qui vous motive pour 2021 ?

JW: J’ai un quatrième dan en sabre japonais et un troisième dan en kendo. J’avais besoin de quelque chose pour me divertir après avoir arrêté le rugby grâce auquel j’avais été sélectionné par des universités anglaises. En réalité, j’ai arrêté le rugby pour rejoindre un groupe de rock. Je suis écossais et ce kilt représente le tartan de ma famille. Ah oui, j’ai aussi écrit de la musique, rappé et prêté ma voix pour les premiers jeux Grand Theft Auto sous le nom de Robert de Negro. Je peux avouer ça maintenant car c’était à la fin des années 90 quand j’étais à l’université et j’ai maintenant pas mal d’expérience professionnelle et deux doctorats donc je ne vais pas passer pour une racaille.

Mais grosso modo, ce ne sont que des fadaises que je diffuse sur les réseaux sociaux pour être un brin plus accrocheur. Derrière tout ça, j’ai réellement un côté timide et calme. Vraiment, je suis quelqu’un qui essaye de rester l’enfant que j’étais – assoiffé de connaissances, de nouvelles expériences, de moments marrants, de liberté et tout ce qui stimule les 5 sens. Ma mission pour 2021 est de continuer mes travaux et ce faisant, de gagner plus d’argent en travaillant moins : ainsi je pourrais faire plus de choses qui pourront porter leurs fruits un jour.

NooS · Jonathan Wilson

Cette année dans The Guardian, vous avez écrit qu’au Royaume-Uni “Le monde universitaire ressemble à une pinte de Guiness”, c’est-à-dire divers en bas mais pas au sommet. Pourriez-vous développer cette observation ?

JW: Eh bien, c’est foncé en bas et blanc en haut et si vous voulez atteindre le sommet, vous devez devenir “blanc” – en tant que personne, dans votre identité, vos gestes, votre apparence, vos hobbies et votre culture. Trop souvent, par exemple en marketing, la culture urbaine est un code pour dire classe basse, non sophistiquée et vulgaire. Peut-être, le meilleur indicateur pour cela est la manière dont la société classe et récompense les femmes noires selon la clarté de leur peau ou l’aspect lisse de leurs cheveux – et cela se passe hélas aussi dans les communautés ethniques.

Dans le monde universitaire, j’en suis venu à la conclusion que les personnes jugent et récompensent la connaissance selon la personne qui présente cette connaissance et nous ne sommes pas daltoniens quand nous le faisons. Alors oui, c’est un peu rustre de comparer ce phénomène à une pinte de Guiness mais je voulais un titre attractif  – et je suis sûr que les lecteurs m’ont compris.

De votre point de vue, comment de tels déséquilibres deviennent des biais implicites pour un adolescent quant à la diversité ? Par exemple pour un adolescent blanc ?

JW: Si vous ne mélangez pas ni remettez en question vos avis d’une manière à pouvoir reconnaître vos propres lacunes, dans un environnement dans lequel vous pouvez apprendre ou changer, alors ces problèmes persisteront. Les personnes peuvent rester indifférentes, garder leurs vieilles habitudes et rester dans leur zone de confort.

J’ai une mère noire et un père blanc donc j’ai grandi dans une réalité avec plusieurs identités et groupes sociaux et être considéré comme un outsider de diverses manières a souvent été l’histoire de ma vie. Ce que j’ai appris, c’est que parfois, certains trouvent cette réalité trop dure et traumatisante et ne veulent pas forcément comprendre les problèmes que les minorités peuvent avoir.

Travailler sur les biais implicites implique d’accepter que vous avez parfois tort, qu’il y a d’autres manières de voir le monde et que vous pouvez vous sentir mal à l’aise – et certaines personnes sauront reconnaître, respecter et apprécier vos efforts et votre combat.

Apprenez à aimer, à montrer votre amour et à être aimé. C’est le meilleur conseil que je puisse donner.

"Apprenez à aimer, à montrer votre amour et à être aimé. C’est le meilleur conseil que je puisse donner"

En France, faire des études fondées sur des critères de couleur de peau est interdit. En théorie, de telles restrictions encouragent l’inclusion au niveau national – dans la mesure où la constitution française reconnaît le peuple français comme une seule nation, sans distinction. En pratique, cela ressemble à une pinte de Guiness mais dans une bouteille opaque de telle sorte que les chercheurs ne peuvent pas mesurer les défis reliés à la diversité car ils n’en ont pas les données. Quelle est votre opinion à ce sujet?

JW: Je pense que beaucoup de personnes voient le Royaume-Uni comme ayant l’un des systèmes éducatifs les plus divers, inclusifs et progressistes au monde – et je pense que c’est le cas ! Cette perception positive de notre système éducatif est largement fondée sur le fait que les cultures et les religions peuvent y être célébrées librement. Cependant, si l’on creuse plus, il est clair qu’il y a encore une large marge d’amélioration quant à la diversité dans la gouvernance des universités, la séniorité des enseignants-chercheurs, la sélection des promotions et l’égalité salariale.

Dans un article que j’avais écrit pour le Journal of Marketing Management, j’écrivais “The Guardian rapporte que les universités du Royaume-Uni emploient 217 000 personnes. Dans ce chiffre, il y a 21 000 professeurs dont 18 000 blancs, 1360 asiatiques, seulement 140 noirs et 2000 d’un milieu ethnique autre ou non-identifié (Adams, 2020). De la même manière, The Financial Times rapporte que parmi les 19 285 professeurs au Royaume-Uni, 12 795 sont des hommes blancs, 4560 des femmes blanches, 90 des hommes noirs et 35 des femmes noires (Jacobs, 2020). La BBC souligne aussi une différence de salaire selon l’ethnie dans le monde universitaire (Croxford, 2018). Cette étude qui a été réalisée sur les universités hautement sélectives montrent que le salaire moyen est de :

  • 52 000 livres sterling pour un professeur blanc
  • 38 000 livres sterling pour un professeur noir
  • 37 000 livres sterling pour un professeur d’origine arabe

En moyenne, comparées aux hommes blancs :

  • les femmes blanches touchent 15% de moins
  • les femmes asiatiques touchent 22% de moins
  • les femmes noires touchent 39% de moins

Collecter des données est important afin de vérifier l’existence de l’inclusion que l’on nous vend. Il est certain que le Royaume-Uni et la France aspirent aux mêmes idéaux mais chaque pays approche la question avec des principes sous-jacents différents : est-ce que nous atteindrons la levée des barrières et la cohésion de la communauté en encourageant l’expression visible des différences ou en l’empêchant ? D’une certaine manière, c’est comme les films X-Men. Si nous stigmatisons les minorités et les immigrés comme des mutants : êtes-vous avec le professeur Xavier ou avec Magneto ?

Cela ressemble parfois à un ouroboros : un cercle sans fin. Quelles sont selon vous, les initiatives qui tendent à changer ce paradigme ?

JW: Si l’on regarde la culture populaire, les arts créatifs, la musique et le sport comme des indicateurs de progression et de changement alors je pense que le futur est prometteur. L’équipe française qui a gagné la Coupe du Monde en 2018 était constituée de nombreux joueurs appartenant à des ethnies minoritaires, 15 sur 23 ont des origines africaines. De plus, dans un article récent de marketing que j’ai écrit sur l’importance des cultures noires et latinos, j’observais que “la musique hip hop/rap se classe au quatrième rang des genres de musique préférés dans le monde derrière la pop, le rock et les chansons anciennes. De plus, les 16-24 ans sont quatre fois plus enclins à choisir le hip hop/rap comme leur type de musique préféré que d’autres catégories d’âge et plus d’une personne sur 5 entre 16 et 24 ans déclarent le rap comme étant son type de musique préféré en Afrique du Sud, en Russie, en Pologne et en Allemagne (IFPI, 2019).” On peut constater que le hip hop est devenu très populaire et que cela n’a rien à voir avec une mode minoritaire.

Une fois que l’on a dit cela, le point critique doit être un mouvement vers une plus grande représentation des minorités dans les rôles de pouvoir et de décision, au-delà de quelques acteurs et athlètes venant des minorités qui sont certes bien payés mais se trouvent bas dans la pyramide hiérarchique. La pyramide économique doit changer de telle sorte que ces communautés cessent d’être seulement de simples consommateurs et des influenceurs – ce qui ouvre la porte à des accusations d’appropriation culturelle. Nous avons besoin de plus de personnes à un haut niveau hiérarchique dans les entreprises qui soient capables d’apprécier les contributions avec authenticité et crédibilité.

"Nous avons besoin de plus de personnes à un haut niveau hiérarchique dans les entreprises qui soient capables d’apprécier les contributions avec authenticité et crédibilité"

Que peuvent faire / lire / regarder les personnes pour surmonter (un peu) ce biais et accélérer le changement ?

JW: Sortez de votre zone de confort, de votre bulle de réseaux sociaux et de vos chambres d’écho. Lisez avec appétit. Si vous pouvez, voyagez beaucoup – avec vos yeux bien ouverts et en étant prêt à se mettre à la place de l’autre. Cherchez la compagnie des personnes qui vous sont différentes – que ce soit l’âge, le genre, la religion, l’ethnie, la carrière ou les hobbies. Investissez dans votre propre apprentissage avec l’engagement d’être un étudiant toute votre vie et de partager votre expérience avec les autres.

Voici une approche structurée pour cela :

  1. Apprenez les bases des sciences et comment interpréter des données
  2. Comprenez le rôle des Lettres, les arguments sous-jacents et l’impact des événements historiques clés
  3. Apprenez à apprécier l’art

 

  1. Développez votre penśee critique
  2. Développez votre pensée stratégique
  3. Développez votre pensée créative

 

  1. Étudiez les humains – biologie, psychologie, consommation
  2. Étudiez le commerce avec ses différentes unités et fonctions
  3. Étudiez la communication et ses aspects liés à l’esthétique, le langage et les symboles

Un vœu en particulier pour 2021 ? Pour vous ? Pour le monde ?

JW: S’il s’agit d’un voeu noble alors il s’agirait bien sûr que nous surmontions la crise du coronavirus, réduire la pauvreté, améliorer l’accès à l’éducation et démanteler les structures de pouvoir qui empêchent l’égalité des races et des genres, ainsi que la mobilité sociale.

Mais si j’en reviens à mes aspirations alors mon conseil pour moi-même et pour les autres est d’apprendre à communiquer plus efficacement à travers tous types de média et à renforcer son réseau. Mon plus gros conseil est : apprenez à faire de la vidéo et des podcasts. Dans un monde où la machine remplace un grand nombre de nos tâches et de nos travaux, il y a toujours un rôle pour les humains et c’est celui-là ! A minima, vous aurez des souvenirs documentés pour vous, vos amis, votre famille et les générations futures, de ce que vous avez fait pendant le temps que vous étiez sur Terre. Le temps passe très vite et votre vieux vous pourrait être très surpris par le jeune vous que vous étiez !

Si vous voulez en savoir plus sur le travail de Jonathan, voici quelques liens utiles :

Site web : http://drjonwilson.com/ 
Twitter/Instagram : @drjonwilson
LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/drjonwilson/ 

Photography Credit – Cover: Jonathan Wilson