La proportion de références féminines qui apparaissent dans les manuels scolaires des collèges d’Espagne (López-Navajas 2015). Les chercheuses ont plus d’obstacles que les hommes dans leur carrière scientifique pour atteindre les hautes sphères et pour être reconnues.

Chaque 11 février – Journée internationale des femmes et des filles dans les sciences – il nous manque des femmes en tant que références scientifiques dans lesquelles les jeunes filles puissent s’identifier depuis leur pupitre d’école. Mais ça n’est pas parce que ces références n’existent pas mais parce qu’elles ne se sont trouvées que très rarement au premier plan de l’Histoire. Seulement 7,5% des références qui apparaissent dans les manuels de collèges espagnols sont des femmes. Dans son Analyse de l’absence des femmes dans les manuels de collège. Une généalogie de la connaissance cachée, Ana López analyse 115 manuels de 19 matières différentes – 33 manuels de science – et tombe sur des pourcentages peu réjouissants : en physique-chimie, seules 8,5% des références sont des femmes. En sciences naturelles, ce pourcentage atteint difficilement les 10%.

À l’heure actuelle, seul un tiers des chercheurs sont des femmes, selon les statistiques des Nations Unies. L’Espagne se situe au-dessus de la moyenne avec 40% mais ce chiffre stagne depuis 2018. Les disparités hommes-femmes sont encore plus criantes dans les manuels scolaires mais la racine du problème réside dans un sujet bien plus profond : les femmes ont plus d’obstacles dans leur carrière scientifique pour atteindre les hautes sphères de la recherche et pour être reconnues pour leurs découvertes scientifiques que les hommes. Par où commencer ?

“C’est l’écart entre les sexes dans le financement des subventions qui entraîne des évaluations moins favorables des femmes en tant que cheffe de projet de recherche et non la qualité de leurs propositions de recherche.” avance un groupe de recherche dans une étude publiée il y a un an dans The Lancet. À l’occasion de la Journée de la femme dans les sciences, ils ont analysé près de 24 000 demandes de bourses de 7 093 chercheurs dans les programmes de recherche médicale au Canada pour finalement constater que la probabilité d’obtenir la direction d’un projet de recherche est bien moindre pour les femmes.

“Depuis plus de vingt ans, les études ont démontré que les femmes du monde académique doivent fournir un effort plus grand que les hommes pour recevoir la même reconnaissance. Il est d’usage d’interpréter cela en disant que les femmes n’ont pas les capacités nécessaires pour mener à bien des projets de recherche scientifique.”. En plus d’être sous-représentées dans les articles scientifiques malgré le fait d’avoir publié dans des médias de grande audience, les femmes ont moins de probabilité d’atteindre des postes à haute responsabilité bien qu’elles aient le même âge, la même expérience et la même productivité que les hommes.

Cela résonne d’autant plus lorsque l’on sait que les femmes “sont très représentées dans les fonctions d’éducation secondaire et universitaire”. En d’autres termes, malgré le fait qu’elles suivent le même chemin que leurs homologues masculins, il est plus probable qu’elles restent coincées à la base. Selon des chiffres des Nations Unies, 379 920 femmes ont un doctorat scientifique contre près de 1,2 million d’hommes, ce qui est équivalent à 3 chercheuses pour 10 chercheurs masculins.

Si l’on regarde les pourcentages, nous constatons que les femmes atteignent en moyenne un niveau plus haut de qualification que les hommes sur l’ensemble des étudiants commençant des études : 14% des personnes en études courtes sont des femmes, puis 18% en licence pour encore augmenter à 26% en Master et 24% en doctorat. Toutefois, au moment de trouver un travail avec un doctorat en poche, les femmes se retrouvent principalement dans des postes de recherche dans des institutions publiques ou dans les universités et les hommes dans des entreprises privées.

Les femmes ayant un doctorat occupent plus de postes dans les institutions publiques et les universités

En Espagne, des chiffres récents du Ministère de l’Éducation montrent qu’autour de 7 étudiants sur 10 qui obtiennent leur diplôme en sciences médicales et naturelles sont des femmes. Bien que les branches d’ingénierie et d’architecture soient principalement représentées par des étudiants masculins (autour de 70%), de manière générale la majorité des étudiants dans des études scientifiques sont des femmes, ce qui montre que la course d’obstacles commence dès le début des études.

7 étudiants sur 10 qui obtiennent leur diplôme en médecine sont des femmes

Le Conseil Supérieur de Recherches Scientifiques (CSIC) en Espagne a fourni une preuve assez forte de cette disparité. Dans une étude interne réalisée en 2019, l’institution admet que “l’inclusion de thématiques liées au genre dans les projets de recherche est un sujet qu’il faut aborder”. D’une part, la proportion de chercheuses dans les projets financés au niveau national est de 34,7 %, un chiffre légèrement inférieur aux 35,8% de chercheuses qu’il y a au CSIC. D’autre part, les données sur le personnel en formation indiquent une diminution de la proportion de femmes sur les dernières années : plus la formation avance, plus la présence féminine baisse.

C’est seulement au niveau pré-doctoral que le nombre de femmes dépasse celui des hommes. Une fois le doctorat en poche, la proportion d’hommes augmente considérablement, dépassant de plus de 30% les femmes dans les postes de chercheurs. À la fin du doctorat, 7 hommes sur 10 deviennent chercheurs contre 3 femmes sur 10. Par ailleurs, il n’y a que très peu de femmes (20%) qui obtiennent la reconnaissance de “chercheuses reconnues”.

Plus la formation avance, moins les femmes se portent candidates

Quant aux universités publiques espagnoles, le paysage des inégalités est similaire: la parité se maintient jusqu’à ce que les thèses doctorales soient approuvées. À partir de là, le nombre de chercheuses diminue de telle sorte que 8 titulaires du “Grado A” de recherche sur 10 sont des hommes.

À partir de la thèse doctorale, le pourcentage de femmes dans les universités baisse plus la qualification augmente

De plus, seulement 29% des doyens d’universités sont des femmes. Comme l’indique Chercheuses en chiffres 2017, la différence se fait encore plus visible au niveau le plus haut : le rectorat où seulement un quart des postes sont occupés par des femmes. Quant aux commissions techniques d’évaluation de projets, les chercheuses sont largement sous-représentées dans les deux fonctions de niveau le plus haut (24% de présidentes et 22% de vice-présidentes) alors qu’il y a une parité parfaite dans les secrétariats.

Ces différences historiques ont de multiples raisons, du rôle de l’évaluation par les pairs ou du niveau universitaire à la charge des soins et aux rôles des sexes. Comme l’indiquent différents experts dans Une comparaison historique des inégalités dans les études scientifiques, ce sont des analyses qui se font d’un point de vue simpliste “qui mènent à penser que les programmes de recherche sont différents entre les hommes et les femmes, en oubliant que tout réside dans les barrières systémiques qui empêchent aux chercheuses de grandir au niveau académique”, un fait qui rend inévitablement plus difficile l’application de politiques concrètes dans la communauté scientifique.

La pandémie, une autre pierre sur le chemin de l’égalité hommes/femmes

Tous ces chiffres nous permettent d’analyser le contexte dans lequel nous vivons. Les inégalités ne sont pas restreintes à quelque profession que ce soit et la crise sanitaire provoquée par le coronavirus n’a fait qu’augmenter les inégalités de genre dans tous les secteurs en termes de médiation familiale et de tâches ménagères. L’Unité Femmes et Sciences a réalisé une enquête en octobre dernier auprès de 1563 chercheurs et chercheuses et leurs réponses ont démontré que le coronavirus a accentué les inégalités sur les tâches ménagères et a freiné la production scientifique des femmes.

Bien que chaque genre ait eu à faire face à de nouveaux défis au sein de son foyer, il semble que les femmes ont subi une plus grande augmentation du temps consacré aux tâches ménagères. Ainsi, la moitié des chercheuses interrogées se sont chargées seules du ménage. Quant à la garde des enfants, les chercheurs ont vu le temps consacré augmenter de 11% contre 18% pour les femmes. Les différences sont également flagrantes sur des tâches comme laver le linge et l’étendre.

Le temps qu’elles ont eu à consacrer au foyer durant le confinement a été tel qu’un tiers des chercheuses n’a pas présenté de publication pendant le confinement. Au même moment, plus de 40% des hommes présentaient au moins deux publications. La pandémie est devenue une autre pierre sur le chemin des femmes scientifiques et le confinement a montré que les inégalités sur les tâches domestiques sont un des facteurs qui ont le plus influé sur la production scientifique, “un aspect qui, à moyen ou long terme, peut avoir une influence négative sur la carrière professionnelle”, comme l’indique l’Unité Femmes et Science. Faire entrer les femmes dans les manuels scolaires passent par l’élimination des failles du système qui les rendent invisibles.

Cover Photo: Valeria Cafagna via Ethic Magazine